DISTRIBUTIONNALISME

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DISTRIBUTIONNALISME

L. Bloomfield et Z. Harris furent les principaux théoriciens de l’école américaine de linguistique connue sous le nom de distributionnalisme. La théorie distributionnaliste apparaît au moment où l’œuvre de Saussure commence à peine à être connue en Europe, mais, bien qu’offrant certaines analogies avec cette dernière, on doit la considérer comme indépendante de l’héritage saussurien.

L’origine directe du distributionnalisme doit plutôt être cherchée dans la psychologie béhavioriste qui fait son apparition aux États-Unis vers 1920. Pour le béhaviorisme, tout le comportement humain doit être explicable à partir des situations dans lesquelles est placé le sujet, sans qu’il soit nécessaire de considérer les facteurs d’ordre interne. Or, un acte linguistique est un comportement humain et rien n’empêche donc d’expliquer la parole par son environnement d’apparition. Pour Harris: «Les parties d’une langue n’apparaissent pas arbitrairement relativement les unes aux autres; chaque élément se rencontre dans certaines positions par rapport aux autres.» Cette théorie est donc fondamentalement mécaniste et antimentaliste (le mentalisme voyant dans la parole un effet des pensées du locuteur). Pour Bloomfield, la tâche immédiate à laquelle doit s’attacher le linguiste est une description des actes de parole, description qui doit éviter tout mentalisme et ne pas tenir compte du sens des paroles considérées.

Une telle étude commence par la constitution d’un corpus d’énoncés effectivement prononcés par des sujets parlant une langue donnée à une époque donnée. On s’efforce ensuite de relever les régularités dans le corpus afin d’ordonner la description. Le postulat de la théorie excluant qu’on s’appuie pour ce faire sur le sens ou la fonction des éléments, il ne reste, comme fondement à la recherche, que l’environnement des éléments, leur contexte linéaire, soit «tout ce qui reste quand nous extrayons cet élément d’un énoncé» (Bach). La somme des environnements d’un élément constitue sa distribution. À partir de ces notions, le linguiste se livre à un travail de décomposition de l’énoncé (parsing ) qui l’amène à dégager ses constituants immédiats (C.I.). Chaque phrase se voit attribuer une structure hiérarchisée d’éléments emboîtés les uns dans les autres. On détermine d’abord des éléments assez vastes, les C.I. de la phrase, puis on décompose ceux-ci à leur tour en C.I. de C.I., et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on obtienne les unités minimales, les morphèmes. Les procédures utilisées diffèrent selon les linguistes, mais peuvent toujours se ramener à une combinaison d’opérations de segmentation et de substitution. Soit un énoncé X. On le divise en un point quelconque et on essaie de substituer aux segments X1 et X2 obtenus d’autres segments et de voir si les nouveaux énoncés ainsi formés sont grammaticaux. D’essai en essai, on parvient à trouver les divisions permettant un découpage en segments d’indépendance maximale. Ainsi, l’énoncé «le tendre Michel aime la cruelle Marianne», par analogie avec l’énoncé plus simple «Louis parle», se divisera en «le tendre Michel/aime la cruelle Marianne». À son tour, «le tendre Michel», comparé à «un chat», sera segmenté en «le/tendre Michel», etc. La tâche du linguiste est désormais de classer les C.I. et de les nommer. Dans cette perspective, la grammaire est conçue comme une grammaire de liste, un inventaire, une classification taxinomique d’éléments et de séquences.

En fait, une telle méthode se heurte à des difficultés insurmontables. Tout d’abord, la distribution est-elle finie ou infinie? Si le corpus est fini, la distribution l’est aussi; partant, la distribution sera plus ou moins accidentelle et deux éléments n’auront jamais exactement la même distribution. Mais si l’on admet une distribution infinie, on ne peut espérer obtenir une procédure effective (n’ayant qu’un nombre fini d’étapes). Enfin, si l’on décide de ne retenir que des environnements typiques, il faudra justifier le choix de ces environnements, qui doivent être définis en termes distributionnels. Question insoluble où la distribution ne sert plus à définir les éléments, mais devient justement le problème qu’il s’agit de résoudre (Bach). Il est donc impossible de formaliser complètement ces procédures et on ne peut élaborer une procédure de découverte qui produirait mécaniquement une description grammaticale à partir d’un corpus.

Aujourd’hui abandonnée, l’analyse en C.I. n’a pas été totalement inutile. Chomsky en a donné une version formalisée et a étudié systématiquement les capacités et les limites d’une grammaire fondée sur cette analyse. La visée de Chomsky étant de déterminer les propriétés formelles que doit avoir une grammaire pour énumérer automatiquement toutes (et rien que) les phrases grammaticales d’une langue, tout en donnant à ces phrases des descriptions structurales sous la forme d’indicateurs syntagmatiques, l’étude de la forme des règles dans une grammaire générative de ce type lui a permis d’établir les insuffisances du modèle en C.I. et de montrer la nécessité de recourir au modèle transformationnel.

distributionnalisme [ distribysjɔnalism ] n. m.
• v. 1960; angl. distributionalism (1933)
Ling. Linguistique qui procède par analyse distributionnelle. Adj. et n. DISTRIBUTIONNALISTE , v. 1960 .

distributionnalisme nom masculin (américain distributionalism) Synonyme de analyse distributionnelle. ● distributionnalisme (synonymes) nom masculin (américain distributionalism)
Synonymes :

distributionnalisme
n. m. LING Théorie, due à Bloomfield, qui définit les unités de la langue sur la base de leur distribution.

distributionnalisme [distʀibysjɔnalism] n. m.
ÉTYM. V. 1960; de l'angl. des États-Unis distributionalism, 1933, de distribution au sens ling., de to distribute « distribuer ».
Ling. Linguistique qui tente de décrire une langue par l'analyse distributionnelle. Distributionnel. || Le distributionnalisme de Harris.REM. La graphie distributionalisme est calquée de l'anglais.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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